C’est ce qu’on appelle un beau coup ! Rafler quatorze médailles et s’emparer du titre de champion de boxe d’Afrique australe au nez du grand rival de la région, l’Afrique du sud…inespéré pour le Mozambique !
Et pourtant, en 2018, six boxeuses engagées dans cette compétition qualificative pour le championnat continental et les Jeux africains ont sorti les poings. Et (dé)montré de quoi elles étaient capables. Ce sont elles qui ont permis de faire la différence car toutes sont reparties médaillées. Deux parées de bronze et quatre d’or, un record ! Et un symbole inspirant pour les mozambicain(e)s, immortalisé et amplifié par une exposition photos réalisée par le photographe français Stéphane Bouquet.
Intitulée fort à propos As poderosas – Les puissantes – elle retrace leur épatante épopée.
Flashback sur un moment historique
Février 2018. Pour la première fois, le Mozambique accueille les championnats de boxe amateur, hommes et femmes, d’Afrique australe.
À Maputo, capitale du pays, les sept nations de la zone – Mozambique, Afrique du Sud, Lesotho, Botswana, Seychelles, Swaziland, Zimbabwe – sont représentées. L’Afrique du sud est archi favorite, et pourtant c’est son petit voisin et pays hôte, qui met tout le monde K-O en remportant haut la main la compétition.
Dans le viseur de son appareil, le photographe Stéphane Bouquet, ne perd pas un round de cette victoire, inattendue, voire historique, qui fera la manchette de tous les journaux du pays.
Le vernissage de son expo As poderosas (Les Puissantes) a lieu le 8 mars 2018, lors de la journée internationale des femmes. En un mois, plus de mille personnes viennent la voir au centre culturel franco-mozambicain. « Des trois cents événements qu’on organise ici chaque année, c’est celui qui a attiré à ce jour le plus de monde. On m’en reparle encore ! » sourit le directeur du centre, Marc Brébant.
L’initiateur de ce projet, c’est lui. « Je fais depuis longtemps de la boxe française, explique-t-il. Evidemment quand j’ai emménagé ici, très vite j’ai cherché un club pour m’entraîner. » Il découvre qu’il n’y a pas de club de boxe, du moins tel qu’on l’entend en Europe. « Ce sont très largement des associations scolaires. J’ai su qu’il y avait un club au sein d’un collège près de chez moi. Je me suis donc rendu un jour à un entraînement pour voir. La session avait lieu dans un gymnase du quartier. Les conditions étaient assez roots. Un espace vestiaire, pas de ring mais des élastiques tendus pour matérialiser un carré où j’ai vu boxer des garçons et quelques filles, certains sans protège-dents, avec des gants qui avaient l’air d’avoir bien vécu…. La séance ne comportait quasiment pas de préparation physique, c’était surtout du sparring (Ndlr : entraînement). Filles et garçons s’affrontaient et ça envoyait très fort ! ».
La boxe, une discipline mineure
Dans cette ancienne colonie portugaise, le foot est roi. Les petits garçons y jouent en rêvant de devenir pros et d’aller s’entraîner en Europe. Les petites filles ? Quand elles sont en capacité de faire du sport, dans ce pays où la moitié de la population vit dans une extrême pauvreté et où les infrastructures manquent partout, leur graal c’est le basket. Seule discipline où les féminines attirent véritablement un public, les médias et les clubs étrangers, notamment les américains de la ligue WNBA (Women’s National Basketball Association). Pour la boxe, il reste peu de place et par conséquent peu de moyens. Pratiquement jamais médiatisée, cette discipline peine à recruter des adeptes et des coaches.
En général, ce sont d’anciens militaires. Ce qui est le cas de l’entraineur qui anime le cours auquel Marc Brébant est venu assister la première fois en observateur. « En lui parlant à la fin, je découvre qu’il est également le Directeur technique national auprès de la fédération de boxe. C’est lui qui me révèle que sa fédé ne compte officiellement que douze boxeuses… sur une population totale d’un peu plus de trente millions d’habitants. Dont six s’entraînent avec lui en sélection nationale, à Maputo. Je me suis dit que les suivre ferait un joli sujet pour une expo photo, et permettrait peut-être de promouvoir ce sport au féminin. »
Dans les yeux d’un photographe
C’est là que Stéphane Bouquet entre en scène. Photographe et coach de boxe française, il se rend au Mozambique à la mi-février 2018.
« À mon arrivée, je ne savais pas que cette compétition devait avoir lieu, se rappelle-t-il. Je commence à suivre un premier entraînement dans un gymnase scolaire où boxaient deux filles de la sélection nationale… Et puis, je découvre qu’en fait elles se préparent à un championnat. L’enjeu était donc plus important que prévu. D’autant plus impactant qu’elles ont finalement fait un super résultat. Que je me retrouve là, à ce moment là, a été un incroyable hasard. »
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Son travail photographique a été de les saisir sur et hors du ring, parvenant à capter le fighting spirit de ces jeunes boxeuses. « Lors des combats, note Marc Brébant, ce sont des lionnes, alors qu’en dehors, ce sont des lycéennes et des étudiantes douces, souriantes et très coquettes. En cela, elles sont très représentatives de la nature mozambicaine. On surnomme le Mozambique « le pays des gens gentils », et c’est vrai. Mais quand il s’agit de se battre, comme ils l’ont fait treize ans durant pour conquérir leur indépendance puis au cours des vingt années de guerre civile qui ont suivi, les habitants de ce pays savent se montrer féroces. »
Le mythe de la guerrière…
Avec cette expo qui a également tourné à Paris et à Barcelone ainsi que dans divers festivals photos, c’est la toute première fois que la boxe mozambicaine est mise en vedette. Et que ce soit à travers les féminines est totalement inédit. « À Maputo, cela a été le point de départ d’une série de conférences sur la place de la femme dans la société mozambicaine qui ont fait le plein, se souvient Marc Brébant. Et les échanges ont été très animés tout au long du mois de la Femme ! »
Car, oui, au Mozambique, la Journée internationale des femmes s’étend sur un mois, entre le 8 mars et le 7 avril, le 7 avril étant le jour anniversaire de la mort de Josina Machel. Décédée à 26 ans, en 1971, cette jeune activiste au sein du front de libération mozambicain, épouse de l’emblématique Samora Machel, premier président de la République mozambicaine, a notamment participé à la création de bataillons de femmes engagées dans le conflit pour l’indépendance du pays.
Souvent représentée une kalachnikov à la main, elle demeure à la fois une figure de l’anticolonialisme et une icône féministe dans un pays où l’égalité homme-femme, pourtant inscrite dans la Constitution, est toute théorique. Le machisme reste profondément ancré dans les mentalités, et il fait des victimes tous les jours. Selon un rapport d’OXFAM datant de 2015, 1 femme sur 2 était alors la cible d’agression ou de harcèlement sexuel, et 45 % des femmes mariées subissaient des violences conjugales. Un arsenal légal en faveur et pour la protection des droits des femmes, a bien été adopté au cours de la dernière décennie, mais il peine à être appliqué. « La coutume prend encore largement le pas sur la Loi » déplorent toujours les ONG qui œuvrent sur le terrain.
L’impact des « lionnes »
« Quand même, les choses évoluent et, à mon sens, de façon accélérée depuis ces trois dernières années », observe Marc Brébant. Il se souvient qu’il y a encore deux ans, il était communément admis qu’une fille frappée ou violée l’avait bien cherché. Aujourd’hui, ça ne passe plus. « Les femmes ont moins peur de parler. Les lignes bougent. »
La vague #metoo ? Peut-être. Sûrement. Une chose est claire : c’est la jeune génération d’hommes et de femmes, très connectés ici aussi aux réseaux sociaux, qui portent ce combat pour plus d’égalité. « Les ONG sont également très actives et travaillent au corps les autorités publiques locales et nationales, indique Marc Brébant.
Et puis il y a les médias qui consacrent de plus en plus d’articles notamment aux violences faites aux femmes. » Dans ce contexte global, le beau parcours des boxeuses, accompagné d’un bel écho médiatique, a significativement impacté les mentalités, et suscité des vocations. « Dans les clubs de quartier, on a vu arriver de nombreuses filles entre 15 et 25 ans désireuses de mettre les gants. Les cours de boxe ouverts aux femmes font aussi maintenant partie de l’offre des clubs privés de fitness de la capitale. Je l’ai constaté moi-même », témoigne le directeur du centre franco-mozambicain.
Le gouvernement a lancé l’an dernier un plan de développement de la boxe visant à booster sa pratique. Une discipline intégrée au cursus des appelé(e)s du service militaire, avec un objectif avoué : former 500 boxeurs au sein de l’armée. Hommes et femmes.
Le lieu de l’exploit
Maputo où ont eu lieu les championnats de boxe amateur, hommes et femmes, d’Afrique australe, est la capitale politique et économique du Mozambique, en Afrique de l’Est.
Située au bord de l’océan indien, à l’extrémité du pays, elle compte aujourd’hui plus de 1,7 million d’habitants.
70 % de sa population vit dans des bidonvilles entourant le centre historique de Baixa.
Égalité hommes-femmes, le paradoxe mozambicain
En paix depuis 1992, après trente ans de guerre, la République populaire du Mozambique est l’un des tout premiers pays africains à avoir inscrit dans sa Constitution le principe d’une égalité absolue entre hommes et femmes.
Depuis le début des années 2000, un ministère de la Femme et de l’action sociale a été créé et plusieurs lois ont été adoptées pour améliorer le sort des femmes et les protéger : adoption d’un nouveau code de la famille qui institue la totale égalité entre les sexes notamment en ce qui concerne le partage des biens dans le ménage (les femmes ont désormais les mêmes droits que les hommes en cas de divorce, de veuvage, d’héritage), légalisation de l’avortement (2007), protection légale aux femmes victimes de violence domestique (2019).
Mais les ONG constatent qu’il y a peu de traduction dans les faits de ces lois.
Ainsi la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme) relève que dans les mœurs, il est encore admis que les hommes puissent recourir à la force pour régler des problèmes conjugaux.
Autre exemple : le code de la famille de 2004 interdit le mariage en dessous de 18 ans pour les deux sexes. Or, toujours selon la FIDH, les mariages précoces perdurent. 21 % des filles de moins de 15 ans sont mariées, et un quart des mozambicaines de 15 à 19 ans sont déjà mères de deux enfants.
Dans ce pays encore très rural, où 50 % de la population vit dans une grande pauvreté, et où le taux d’analphabètes reste massif, les modèles traditionnels des rapports hommes-femmes ont bien du mal à évoluer.
D’autant que les stéréotypes sexistes continuent à être largement véhiculés dans les médias.
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